C’est l’histoire d’une croyance qui résiste à l’épreuve du temps. Entrons directement dans le vif du sujet : si vous coupez un ver de terre en deux, au pire, ça fait un mort, au mieux, un handicapé, mais jamais plus ! Contrairement à ce que l’on peut lire dans certains livres éducatifs.
Comme celui sorti chez l’éditeur Nathan en 2022 (source), où l’enfant apprend que couper un ver de terre en deux en fait deux ! Dix pages richement colorées sont consacrées à cette cruauté, et l’auteure se justifie en arguant dans la préface : « Quand on parle de vers de terre, la seule certitude, c’est qu’ils ne sont pas des chenilles. » Deux siècles de recherche scientifique réduits en cendres, et un éditeur qui présente son ouvrage comme un « mélange d’observations scientifiques et d’humour… » No comment.
Le suicide des vers de terre !
Une journaliste m’a envoyé cette semaine son article, afin que je le relise avant de le publier. C’est habituel, et, oh, surprise, je lis : « Quand le sol est gorgé d’eau, le lombric terrestre remonte à la surface pour respirer. » Mais où a-t-elle pêché cette info ? En cherchant sur Google, je tombe sur une autre : sur le suicide des vers de terre… Quand un ver de terre traverse une route, il se suiciderait ! Curieusement, jamais personne ne dit que ce n’est pas le ver de terre qui traverse la route, mais c’est la route qui traverse son champ ! Bref, j’ai traité le sujet en 2023 : Pourquoi les vers de terre vont-ils sur les routes, les terrasses, les trottoirs ?
Je réponds à la journaliste que le lombric terrestre peut vivre un certain temps sous l’eau avant de se noyer. Il a des stratégies de survie : comme s’enrouler pour diminuer l’activité biologique de son corps et extraire momentanément l’oxygène de l’eau. N’oublions pas que leurs ancêtres ont enterré les dinosaures, réussissant à survivre aux pires catastrophes climatiques ! Ils ont aussi colonisé toute la biosphère, sauf les airs. Encore que… certaines espèces vivent dans les arbres (source), c’est dire leur exceptionnelle capacité d’adaptation.
Quand le lombric terrestre remonte à la surface, ce n’est pas pour respirer, mais pour manger, trouver un partenaire sexuel, glaner ou peut-être tout bonnement glander… je ne suis pas dans sa tête ! C’est d’ailleurs la seule espèce à venir s’accoupler sur le sol, son appétit sexuel étant si fort, qu’elle n’hésite pas à braver sa peur de la lumière.
Les vers se baladent beaucoup
L’éminent professeur Patrick Lavelle, qui a consacré sa vie à les étudier, m’explique dans une conversation publiée dans l’Éloge du ver de terre en 2023 : « Les vers se baladent beaucoup, mais comme c’est le plus souvent la nuit, quand le chercheur dort, il ne s’en rend pas compte... »
Un jour, dans les serres du centre IRD de Bondy – l’Institut de Recherche pour le Développement, un établissement public -, deux étudiants avaient installé des expériences en pots pour étudier leur effet sur la croissance des plantes et je ne sais quel autre effet. Ils utilisaient des espèces différentes, et au démontage, ils se sont aperçus que les vers étaient sortis de leurs pots pour aller dans le pot du voisin. Le grand problème, non avoué dans les publications sur les effets des vers sur la croissance des plantes en milieu naturel, est que les vers s´échappent tandis que ceux du dehors entrent pour visiter.
Les agités du bocal
Au 21e siècle, on continue parfois de se poser les mêmes questions qu’au onzième ! Il y a quelque temps, une question a agité plusieurs dizaines de permaculteurs dans un groupe Facebook, au point que les administrateurs ont dû fermer les commentaires, tant les discussions étaient acharnées : Couper un ver de terre en deux, donne-t-il naissance à deux nouveaux ?
Et en réponse, ils se sont déchirés sur l’éthique ! L’éthique, c’est la morale : est-il bien ou mal de faire mal à un animal ? Et si ce n’est pas mal, pourquoi s’en priver si ça nous fait du bien… Mais aucun d’entre eux n’a eu la présence d’esprit de dire que les vers de terre ont une bouche et un anus ! Et il est peu probable que ce soit par pudeur ! Et que de les couper en deux interrompt leur transit intestinal ! Dans un bain de sang, car du sang coule dans leurs veines ! Cf. article. Et même s’ils possèdent 4 ou 5 paires de cœur, selon les espèces, ils sont concentrés à l’avant. Peut-on vivre sans cœur, sans reins… ?
Il a commencé à se vider
J’ai sectionné l’arrière-train d’un lombric terrestre en repiquant des courges au printemps. C’est malheureux, mais ça arrive à tous les jardiniers. Quand je l’ai pris dans ma main, une minuscule tache de sang est apparue sur ma paume. Du rouge, du vrai, puis il a commencé à se vider. Un peu de caca est sorti de son intestin amputé. Sans anus, comment pourrait-il se « retenir » ? L’anus était resté sur la partie morte.
Mais il a encore toute sa tête, il cherche à s’enfuir, à passer à travers mes doigts, mais c’est compliqué : l’arrière ne suit plus. Son système nerveux est également coupé, endommagé, et l’information n’arrive plus à son cerveau. Il traîne ce nouvel arrière-train, comme un chien traîne sa patte cassée.
Peuvent-ils se régénérer ?
Nous avons un organe qui possède cette capacité : le foie. Et l’extrémité de nos doigts peut parfois se reconstituer, mais c’est rarissime. La queue de certains lézards peut se régénérer, les vers de terre n’ont pas de queue. Certains amphibiens, comme la salamandre, ont la capacité de régénérer un membre, mais jamais un organe vital. Rappelons que chez les animaux, l’intestin fait partie des trois premiers organes à se former à l’état embryonnaire, avec le cerveau et le cœur. C’est l’appareillage de base.
De plus, plus un organisme est considéré comme primitif, plus on tend à croire que sa reproduction est spontanée, magique, divine. Le lombric terrestre choisit ses partenaires sexuels, ce n’est pas plus primitif que le comportement d’un homme avec les couilles pleines (désolé).
Générer, c’est créer, re-générer, c’est faire re-vivre, synonyme de re-naissance, mais aussi de résurrection, de retour de la mort à la vie. Toutes les cellules de notre corps se régénèrent en permanence selon leur horloge biologique, mais ça ne signifie pas que certains annélides primitifs et marins n’aient pas cette capacité de se re-générer, de la même manière que certaines espèces de vers de terre peuvent aussi se re-produire par parthénogenèse (à partir d’un ovule non fécondé).
La journaliste m’a remercié
Puis elle demande : « Si un ver de terre est coupé en deux, meurt-il complètement ? Oui, s’il est coupé ou endommagé en amont du clitellum, la partie renflée de son corps située à environ un tiers de sa longueur. Il meurt, car dans ce premier tiers se trouve tous ses organes vitaux, le reste du corps étant principalement constitué de l’intestin, qui peut cicatriser si la blessure ne s’infecte pas ! Mais en aucun cas , l’une ou l’autre partie ne se régénère : l’une peut survivre, pas l’autre.

L’Éloge du ver de terre n°1 est épuisé et ne sera pas réédité.
Idem pour le 2, bientôt épuisé, il ne sera pas réédité.
En libraire ou dans notre boutique.
