Vu comme un parasite des cultures pendant des siècles, le ver de terre est passé du jour au lendemain de l’ombre à la lumière. Jusqu’aux travaux de Darwin, on croyait bêtement qu’il était un parasite des cultures mangeant les racines des plantes ; aujourd’hui, on croit qu’il est l’animal le plus important sur la planète et qu’il aurait des super-pouvoirs.
Les super-pouvoirs… des vers de terre est le titre d’un reportage du 20H de TF1 (diffusé le 26 avril dernier) où l’on apprend que parmi leurs super-pouvoirs, ils mangeraient les coquilles d’œufs : « Ils engloutissent inlassablement toutes leurs épluchures de légumes, de fruits, leurs coquilles d’œuf. Ce sont de super décomposeurs naturels… » Finalement, tout aurait été super et hyper si la journaliste n’avait pas tiré le portrait de vers d’élevage qui vivent hors-sol en croyant tirer celui des vers de terre ! Quant aux vers de terre qui mangeraient les coquilles d’œufs, c’est l’œuvre des super-pouvoirs de l’imagination.
De l’ombre à la lumière
Parti de rien, parti de loin, rappelons que notre laboureur est tout de même à l’origine de l’un des premiers pesticides créés par l’Homme pour le détruire. Un lombricide à base de vert-de-gris et dont l’usage est attesté au 18e siècle par l’abbé François Rozier, botaniste et agronome ; un usage qui pourrait remonter au Moyen Âge. Mais voilà, les super-pouvoirs du buzz sont aussi en train de le renvoyer aux oubliettes. Et ça, c’est pas super super pour son avenir 😢
En effet, de même qu’il est impossible d’évoquer le monde riche et diversifié des abeilles sans être renvoyé à l’apiculture, il est aujourd’hui quasi impossible de parler des vers de terre sans être renvoyé à la lombriculture ! En l’espèce, l’élevage d’une espèce, le contraire de la bio-diversité ; de surcroît, une qui ne vit pas dans la terre, le contraire d’un ver de terre. Si cet amalgame n’existait pas en 2018, depuis lors, la lombriculture a connu depuis un fort développement. L’avantage pour les médias, c’est de filmer une abondance de vers qui ressemblent à des vers de terre et de cultiver du positif ! Car tous les reportages se doivent proposer des solutions !
Mais sur l’opinion publique et les politiques, l’impact est désastreux : pas d’inquiétude, les vers de terre disparaissent, mais on sait les élever et on va les réintroduire… En résumé, la lombriculture est aux vers de terre ce que l’apiculture est au monde pluriel des abeilles, la sylviculture aux forêts primaires, le Canada dry à l’alcool… ça n’a rien à voir.
Le pouvoir du ver de terre
Chaque génération se croyant plus super que la précédente, la nôtre n’est pas avare en superlatifs. Au risque de vous décevoir, le ver de terre n’a pas plus de super-pouvoirs que Superman… et il n’est ni la bestiole la plus importante sur la Terre ni sa première masse animale !
En revanche, il a bien le pouvoir unique de labourer en permanence les sols pour les garder frais, printaniers, ventilés, meubles, dynamiques, gras, féconds. Ce pouvoir, Cléopâtre l’avait compris, et il y a 2 050 ans, la dernière grande reine d’Égypte l’a hissé au côté des scarabées (bousiers) comme des icônes de la fertilité. Elle les a protégés pour préserver la fertilité des terres de la vallée du Nil.
Extrait de l’Éloge du ver de terre, n°2
Darwin et ses « complices » avaient notamment vu qu’ils étaient les seuls animaux de notre planète à posséder ce pouvoir de rajeunissement des sols. Certaines espèces, pas toutes, les remettent à neuf (sens du mot rajeunir) grâce à leurs cacas (turricules) déposés à la surface. Pour affiner l’image, ils pétrissent l’épiderme terrestre comme le boulanger pétrit le pain. Et de temps en temps, certains vont faire caca dehors…
Du coup, si Darwin est vu comme un précurseur, vu qu’il a été précédé de 2 000 ans par Cléopâtre, cela veut clairement dire que la science des sols ne date pas d’hier. Et sans en apporter la preuve, j’ai l’intime conviction qu’autant en Grèce, Égypte, Chine, Amérique Sud qu’en Australie, les agronomes avaient une connaissance des sols et des plantes beaucoup moins archaïque qu’on le croit. Car on relie un peu trop vite leur sacralisation par Cléopâtre à Min, le dieu de la fertilité, représenté sous la forme d’un homme équipé d’un beau sexe en érection… ce qui laisse finalement peu de doute sur ses véritables intentions ! Et sauf erreur de ma part, il ne va pas fertiliser les sols avec…😁
Nous pourrions aussi la relier à Amon, le dieu créateur de la vie, mais son importance dans la mythologie égyptienne est plus contemporaine. Bref, si aujourd’hui l’agronomie est au service des marchés financiers, elle a été jusqu’au début du 20e siècle au service de la fertilité : l’art de cultiver la terre pour la rendre fertile ; l’art de créer des milieux durablement abondants en nourriture.
Et même si aucun témoignage n’a survécu de l’Égypte antique jusqu’à nous, il suffit de se pencher sur nos plus vieux livres d’agronomie pour comprendre que le maintien de la fertilité des sols cultivés a toujours obsédé l’agriculteur jusqu’à l’arrivée des bouillies chimiques. Quant aux tonnages de sols déplacés pour les rajeunir, ils varient très fortement en fonction des conditions régionales, locales et climatiques. Les chercheurs Éric Blanchart et Christian Feller les estiment à 300 tonnes/an/ha, le professeur Patrick Lavelle est un peu plus optimiste : jusqu’à 500 tonnes en climat tempéré, 1 200 tonnes dans certains coins d’Afrique. Les chiffres importent peu, retenons que les vers de terre en déplacent beaucoup et qu’ils sont les seuls animaux à faire ça.
Leur pouvoir, c’est fouir, turbiner, agréger, brasser et aérer le sol, c’est celui de la communauté lombricienne, pas d’une seule espèce.
Des nouvelles de La Ligue de protection des vers de terre
Cette semaine, La Ligue était dans La Croix ➡️, je suis intervenu dans l’émission Planète info sur France info TV, et le reportage de France 3 est visible sur YouTube ➡️ Par ailleurs, La Ligue a maintenant deux délégués régionaux : l’un pour l’Île-de-France, l’autre pour le Sud-Ouest ; le projet étant de mailler le territoire. De plus, une avocate de Paris, spécialisée en droit de l’environnement, nous a spontanément proposé gracieusement ses services.
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L’Éloge du ver de terre N°1 est épuisé et ne sera pas réédité ; le N°2 sera épuisé d’ici cet été : en libraire ou dans notre boutique.