Le 23 octobre dernier, le Parlement européen a voté la première loi sur la santé des sols ! Un tournant historique que je salue en ma qualité de président de la Ligue de protection des vers de terre. En effet, à l’instar des mers, l’habitat des baleines, le sol est celui des vers de terre.
Des sols agricoles sains d’ici 2050 !
Au niveau européen, on parle plutôt de directive que de loi. La finalité est la même : une directive européenne est un acte juridique contraignant. Ce qui interpelle ici, c’est qu’il n’y a aucune contrainte ! Or, le sens d’une loi ou d’une directive est précisément de fixer des règles ou des objectifs à atteindre. Là, le texte dit clairement qu’il n’y a aucune obligation à respecter l’objectif fixé. Les optimistes diront que c’est un premier pas ; les pragmatiques se demanderont quel est le sens d’une loi qui ne fait pas loi et où chacun peut faire la sienne.
Objectif : des sols agricoles sains d’ici 2050 ! Mais l’UE n’a pas réellement défini ce qu’est un « sol sain ». Certes, il est plus facile d’atteindre un objectif flou que clairement défini… La définition tient en une formule : « Les sols en bonne santé sont des sols présentant un bon état chimique, biologique et physique… » (source) Très bien. Mais c’est quoi au juste le bon état chimique d’un sol ? Avec 300 000 km au compteur, mon vieux Citroën Berlingo est toujours en bon état ! même s’il est en bout de course.
Rappelons qu’au niveau européen, environ 50 000 lobbyistes sont enregistrés, tous secteurs confondus (médicaments, pesticides, énergies fossiles, finance, etc.), afin d’orienter les lois au bénéfice de leurs employeurs plutôt que de l’intérêt général, du bien commun et d’une planète habitable. Soit, 70 lobbyistes par député européen.
Voilà pourquoi cette loi a fini par n’être qu’une déclaration de bonnes intentions !
Des sols sains en trompe l’œil
Certes, le Parlement européen a donné son feu vert à la préservation des sols, mais sans obligation de les préserver et sans contrainte pour les agriculteurs, les sylviculteurs, les industriels, les États (source). Comment vous dire ? Vous vous souvenez : « Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent », Jacques Chirac, 1988. Ou, dans sa version plus populaire : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. » Cette loi est une promesse : il s’agit de faire croire à un changement tout en continuant dans la même direction.
Un tournant doublement historique
Puisque le législateur européen suggère d’intégrer les microplastiques et les nanoplastiques dans la liste des contaminants des sols. Mais, là encore, il ne s’agit que d’une suggestion ! Il reviendra aux États membres de décider chacun dans leur coin s’ils les intègrent ou non à leur liste de contaminants. Il en va de même pour les pesticides et les engrais de synthèse : à chaque pays de décider si le glyphosate est un médicament ou un poison pour les sols.
Je vous laisse imaginer les débats stériles et partisans, quand plus de 2 millions de signataires n’ont pas suffi à infléchir la loi dite « Duplomb ». Ni même à en débattre.
Pourquoi cette directive européenne ?
« Des études scientifiques montrent qu’environ 60 à 70 % des sols de l’Union européenne sont actuellement en mauvaise santé. Tous les États membres sont confrontés au problème de la dégradation des sols. Les processus de dégradation se poursuivent et s’aggravent. » (Source)
Dire que j’ai été qualifié d’écoterroriste semant la peur pour avoir dit ça… Désormais, c’est officiel : on peut le dire !
Un autre argument est donné au paragraphe 5 de la loi : « La dégradation des sols coûte à l’Union des dizaines de milliards d’euros chaque année. » Si la dégradation coûte des milliards : dans quelles poches finissent-ils ? Vu le coût, la question mériterait d’être élucidée, d’autant que le but de cette directive n’est pas de la stopper, mais de l’observer… comme on observe « impuissant » à la fonte des glaciers et des pôles ! Cette dégradation va donc coûter des centaines de milliards d’euros d’argent public jusqu’en 2050. Bravo, les champions.
En somme, le Parlement européen a adopté la première directive européenne sur les sols pour contraindre les États membres à suivre en direct la destruction de l’habitat des vers de terre !
Au-delà du « tournant historique »,
c’est un tournant à 360°
Que dire de l’intention du législateur en lisant, au paragraphe 5 : « L’amélioration de la santé des sols est donc judicieuse d’un point de vue économique et pourrait accroître considérablement le prix et la valeur des terres dans l’Union. » ? Le prix, la valeur, l’enrichissement personnel, leur leitmotiv : préserver la valeur foncière de la propriété.
Ce qui aurait dû être une nouvelle VICTOIRE pour les vers de terre, la précédente datant du 3 septembre dernier – [Lire], se transforme en une politique du non-agir : une simple mission d’observation, alors même que la loi reconnaît l’urgence absolue et tous les feux au rouge.
À la semaine prochaine.
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Rédacteur : Christophe Gatineau – 64 ans – Saintongeais, président fondateur de La Ligue de protection des vers de terre. Dernier livre : Ne tirons plus la chasse ! Nos déjections au secours des sols (2025)
J’étudie les vers de terre dans leur rapport à l’agriculture, et particulièrement la star des sols : le lombric terrestre. Auteur d’une douzaine d’ouvrages — dont Éloge du ver de terre et Éloge de l’abeille (Flammarion), je travaille depuis plus de 10 ans en faveur de la reconnaissance juridique des vers de terre.
— « Nous voyons ce que nous avons envie de voir : une vache peut être vue comme une usine à lait, un bout de viande, une calamité pour le climat, un épandeur à engrais ou un être doué de sensibilité. »

