Un baromètre mesure la pression atmosphérique pour prévoir le temps. Marins, montagnards, météorologues, jardiniers et agriculteurs l’utilisent pour anticiper un ciel bleu et ensoleillé, ou au contraire sombre, pluvieux et venteux. Cet instrument donne une tendance et, même s’il ne mesure pas une masse, on peut dire qu’il pèse l’air, l’image est belle.

Autre baromètre — vivant, cette fois : l’abondance de truites sauvages dit beaucoup du « climat » des eaux courantes, autrement dit sur leur pureté et sur l’état de santé de la biodiversité aquatique et riveraine.

En aparté, les sciences de l’écologie et de l’observation ne s’apprennent pas que sur les bancs de l’école (aussi prestigieuse soit-elle), ni uniquement dans les livres, films, vidéos… c’est avant tout une expérience de vie au contact de la nature, un rapport quotidien, sur le terrain. Dans la nature, tous les processus chimiques sont lents, l’apprentissage l’est pas moins. Le baromètre intellectuel est en ce moment au plus bas, nous passons trop de temps à nous contempler le nombril, en oubliant de nous remettre en question, et tout en exigeant des autres qu’ils le fassent.

On dit qu’elle en reflète les grandes tendances. Prenons l’exemple de la Journée mondiale des vers de terre, le 21 octobre, jour où ils sont mis en lumière. Cette année, le président Sarkozy sera mis à l’ombre le même jour ! Qui fera la une : ceux qui nous nourrissent ou celui qui leur a enlevé le pain de la bouche ? Car la presse est bien plus qu’un simple baromètre : elle fabrique l’opinion publique. Pourquoi, à votre avis, les plus fortunés la possèdent-ils ? Pour refléter ce que nous pensons ou pour refléter ce qu’ils pensent ?

Rappelons à ce propos que le président Sarkozy avait tiré à boulets rouges sur l’agroécologie en 2017, rejoint en 2022 par le président Macron. Tirer sur l’agroécologie, c’est tirer sur les vers de terre, puisque c’est la seule agriculture à les prendre en compte.

Le 12 août dernier, en promulguant la loi dite « Duplomb », le président Macron a signé la fin de l’agroécologie. En somme, il a signé l' »arrêt de mort » des vers de terre. Imaginez le tollé s’il avait signé celui des baleines ou des loups. Mais là, personne n’a bronché. Pire : personne n’a fait attention !

En cause, notre intellect dont le fonctionnement est pyramidal. Les êtres dits importants en haut (nous, bien sûr, au sommet) et, en cascade, tous les autres. Sauf que les vers de terre ne sont en bas de la pyramide, ils en sont les fondations ! Mais voilà, quand vous les défendez, on vous prend guère plus au sérieux qu’un clown, préoccupé par des bestioles insignifiantes. Il y a une hiérarchie des causes : jamais un défenseur des baleines ne sera placé sur le même plan qu’un défenseur des vers de terre.

C’est violent, je vous promets,
cette hiérarchie des causes,
défendre l’arbre serait plus noble
que défendre celui qui le nourrit,
défendre l’oiseau serait plus noble
que défendre celui qui le nourrit,
chacun se croit supérieur à l’autre
et crée les conditions pour l’être,
en écologie comme ailleurs,
l’écologie verticalisée

D’accord, il y a tous les jours des Journées mondiales, mais celle-ci est spéciale, car au-delà de faire le point sur l’état des populations de vers de terre, leur santé en dit long sur l’état de nos sols, de la biodiversité, de l’environnement et de l’agriculture. Pourquoi ?

Parce que que notre futur dépend de notre alimentation ; notre alimentation, des sols nourriciers ; et ces sols, des micro-organismes souterrains et des vers de terre. Première biomasse animale souterraine, il pèse lourd sur notre devenir. Et pas seulement, puisqu’ils sont aussi une ressource alimentaire essentielle au maintien de la biodiversité animale.

En langage scientifique, on ne dit pas « baromètre », mais bio-indicateurs. L’idée est la même : prendre la température. À savoir que la diversité des espèces de vers de terre et leur abondance, dans un milieu donné, reflètent la qualité ou la dégradation du sol, des écosystèmes et de l’environnement.

Cette idée est peu répandue, comme celle d’être la clef de voûte de la biodiversité animale. En architecture, c’est la pierre qui permet de faire tenir une voûte. Si on l’enlève, la voute s’effondre. Si on enlève le loup ou la baleine, la voute ne s’écroule pas ; si on enlève l’arbre ou le ver de terre, la voute de la biodiversité s’écroule, de nombreuses espèces animales dépendent de la ressource en vers de terre. Juste un exemple : le régime alimentaire de la bécasse des bois est composé, en hiver, de 85 à 100 % de vers de terre…

Pourtant, jamais ils ne sont vus sous cet angle, jamais cités comme des espèces sentinelles au même titre que l’abeille, le lichen ou le dauphin — sans parler de la confusion avec les plantes bio-indicatrices ! Présentement, il ne s’agit pas de « prendre la température », mais de lire les caractéristiques du sol simplement en observant la flore spontanée. Le trèfle blanc indique un sol riche en azote, la prêle des champs un sol acide, le jonc un sol humide… Bref, une chienne finirait par y perdre ses petits !

« La vie est courte,
l’art est long,
l’occasion fugitive,
l’expérience trompeuse,
le jugement difficile.
»

Hippocrate, né en 460 avant J.-C

Dans la nature, tous les processus chimiques sont lents ; la connaissance du vivant est lente et incertaine, et les croyances dangereuses.

J’ai enfourché une cause jugée misérable : celle d’un animal insignifiant, mais dont l’importance est considérable pour l’avenir des générations futures et pour une planète habitable. Si vous ne voulez pas voir, pas de souci, je ne me fais aucune illusion, nous, les humains, depuis la nuit des temps, préférons croire.


Rédacteur : Christophe Gatineau – 64 ans – Saintongeais, président fondateur de La Ligue de protection des vers de terre. Dernier livre : Ne tirons plus la chasse ! Nos déjections au secours des sols (2025)

J’étudie les vers de terre dans leur rapport à l’agriculture, et particulièrement la star des sols : le lombric terrestre. Auteur d’une douzaine d’ouvrages — dont Éloge du ver de terre et Éloge de l’abeille (Flammarion), je travaille depuis plus de 10 ans en faveur de la reconnaissance juridique des vers de terre.

Nous voyons ce que nous avons envie de voir : une vache peut être vue comme une usine à lait, un bout de viande, une calamité pour le climat, un épandeur à engrais ou un être doué de sensibilité.

1 réflexion sur “Les vers de terre : baromètre du vivant”

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