On lit souvent que les vers de terre menacent les forêts canadiennes ; on sait moins que le Canada est le premier exportateur mondial de vers de terre ! Le 14 septembre dernier, le Courrier international titrait : « Au Canada, les vers de terre européens menacent la forêt. » De quoi laisser croire qu’il faudrait les éliminer pour sauver les forêts !
Déjà victimes d’un lourd déficit d’image — après deux millénaires d’« apartheid », traités comme de la vermine jusqu’à Darwin en 1881, et toujours traités en 2025 comme des nuisibles sur le plan législatif, les vers de terre n’avaient pas besoin de cela. Leurs opposants, tel Duplomb… diront qu’il n’y a pas de fumée sans feu ; cette narration entrave leur lente réhabilitation.
Sans nier cette « menace », il me semble que les mégafeux qui ravagent chaque année des millions d’hectares de forêts au Canada sont d’un enjeu autrement plus grave.
D’autant que ce pays n’a rien d’exemplaire sur le plan écologique : entre l’exploitation des sables bitumineux et les fuites/accidents d’eaux toxiques déversées dans la nature
(source), les cultures OGM à grande échelle, le bœuf aux hormones, le glyphosate pour faire mûrir le blé… il conviendrait de prioriser les problèmes pour ne pas se tromper d’ennemi ; d’autant plus que la majorité des forêts canadiennes n’est pas concernée.
Il est plus facile de taper sur la tête des vers de terre que sur l’industrie forestière !
Une puissante industrie, le Canada étant le deuxième exportateur mondial de bois… (source) Par ailleurs, les études scientifiques ne distinguent pas les forêts cultivées comme du maïs, des forêts à régénération naturelle ou des forêts primaires. En revanche, toutes suggèrent que la colonisation de la forêt par l’Homme précède toujours celle par les vers de terre (source), déjà via la construction de routes et dans un contexte climatique favorable.
En effet, si la dernière grande glaciation terrestre — qui a duré environ 100 000 ans et qui s’est « terminée » il y a 11 000 ans, avait congelé les sols et anéanti la plupart des espèces de vers de terre, leur dégel accéléré depuis le 19e siècle, par ce transfert de masse du carbone fossilisé (charbon, pétrole et gaz ) vers le ciel, offre aux vers de terre des sols nourriciers exceptionnellement riches. Finalement, ils recolonisent leurs territoires perdus en mangeant la matière carbonée décongelée !
Des opportunistes
Comme n’importe quelle espèce animale ! Des profiteurs… qui profitent de notre cupidité. L’argent mène le monde, le mène nulle part, toutes les limites sont dépassées. Respirez, vous êtes vivants, mais dépassés… Désormais il pleut même des pesticides sur nos têtes ! Comme l’a révélé une étude le 8 septembre dernier (source). Rien, presque rien… jusqu’à 140 tonnes seulement dans le ciel français ! Imaginez en Amérique du Nord, où il sont en roue libre sur les pesticide. Mais le problème, ce sont les vers de terre.
Qui aurait pu imaginer une seule seconde que les nuages se chargent de pesticides ! Et de pesticides strictement interdits, pour se décharger sur nos têtes comme parfois le sable venu du Sahara. De ce point de vue : quel mal font les vers de terre ? Certes, ils modifient l’écosystème forestier, peut-être le fragilisent-ils, ou plutôt fragilisent-ils ceux qui s’en gavent ; mais vous ne lirez jamais cela.
En revanche, vous lirez qu’ils participent au réchauffement climatique ! Qu’en consommant trop rapidement la matière organique des forêts canadiennes, ils en libèrent le carbone emprisonné, accélérant le réchauffement climatique. L’accusation est fallacieuse.
Notre star des sols, le lombric terrestre, introduit lors de la colonisation, est vue aujourd’hui au Canada comme une espèce invasive — tout comme les Amérindiens ont pu voir les Européens comme une « espèce » invasive. Et, effectivement, ils ont tout envahi !
Quelles solutions ?
Idée : souvenez-vous qu’en 2018, le Muséum national d’histoire naturelle avait alerté sur des vers plats géants originaires d’Argentine, menaçant les vers de terre français
(source). Aux idées simples, des remèdes simplistes : offrons aux Canadiens des vers argentins pour éliminer les vers européens !
Je taquine.
Lumbricus sp !
Les vers de terre vendus dans les magasins de pêche sont appelés « vers canadiens ». Nom latin indiqué : Lumbricus sp. — « sp. », pour « spécial pêche » ? Plus sérieusement, « sp. » signifie que l’espèce n’est pas identifiée. Pourquoi la cacher, puisqu’il s’agit d’une sous-espèce de Lumbricus terrestris, l’une des 26 espèces exotiques parmi les 34 présentes dans le Nord canadien (source) ? Dont le Canada en est le premier exportateur mondial.
Chaque année, environ un milliard d’individus sont récoltés la nuit dans le sud de l’Ontario, à la main, dans des champs entre Toronto et Détroit (Windsor), par des travailleurs migrants d’Asie du Sud-Est, puis exportés comme appâts de pêche vers les États-Unis et l’Europe.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette sous-espèce et les espèces indigènes actuellement présentes en Amérique du Nord ; je vous en dirai plus prochainement. Quant au prochain article, il portera sur l’influence des haies sur les populations de vers de terre.
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Rédacteur : Christophe Gatineau – 64 ans – Saintongeais, président fondateur de La Ligue de protection des vers de terre. Dernier livre : Ne tirons plus la chasse ! Nos déjections au secours des sols (2025)
J’étudie les vers de terre dans leur rapport à l’agriculture, et particulièrement la star des sols : le lombric terrestre. Auteur d’une douzaine d’ouvrages — dont Éloge du ver de terre et Éloge de l’abeille (Flammarion), je travaille depuis plus de 10 ans en faveur de la reconnaissance juridique des vers de terre.
— Nous voyons ce que nous avons envie de voir : une vache peut être vue comme une usine à lait, un bout de viande, une calamité pour le climat, un épandeur à engrais ou un être doué de sensibilité.