Des vers de terre qui picorent comme des oiseaux dans les champs ; l’image peut faire sourire, mais la découverte n’est pas récente : elle date de 1918 ! Source. À l’époque, on se demandait comment des graines pouvaient se retrouver dans les profondeurs du sol ; le lombric terrestre était déjà soupçonné. Puis, en 1973, des chercheurs ont retrouvé des graines viables dans ses déjections. Source.
« Là où les vers de terre sont présents, on observe généralement un réel déclin des fleurs sauvages printanières et des semis d’arbres. Ils éliminent la couverture de feuilles dont les plantes forestières dépendent pour protéger leurs graines ou se cacher des prédateurs. Ils peuvent aussi détruire les réseaux mycorhiziens, qui aident les racines des plantes à capter l’humidité et les nutriments du sol. » Peter M. Kotanen, professeur à l’université de Toronto (Canada) – 2016 – Source.
C’est vrai que les Canadiens voient les vers de terre d’un tout autre œil ! En septembre, j’avais publié : Les vers de terre menacent la forêt canadienne : les dessous d’une alerte ; et la semaine dernière, au sujet des feuilles mortes : Ne les jetez pas, les vers de terre s’en régalent.
Des prédateurs de graines
Les vers de terre préfèrent les petites et certaines espèces (source) : ils les choisissent. Toutefois, leur impact réel sur les réservoirs de graines du sol es difficilement quantifiable, car il s’ajoute à la prédation des rongeurs et des oiseaux, ainsi qu’à l’action de notre « bonobo » qui en enterre une partie. Bonobo ! !!!
J’avais ainsi qualifié Lumbricus terrestris dans mon précédent article, car il est « génétiquement » le ver de terre le plus proche de nous ! Il illustre l’article, je l’étudie depuis plus de 10 ans, j’ai pris la photo dans mon champ il y a quelques semaines.
Cette espèce pose problème au Canada, mais, paradoxalement, ce pays en exporte un milliard d’individus tous les ans — ce qui en fait le premier exportateur mondial. En septembre dernier est sortie une nouvelle étude canadienne, et elle porte justement sur la prédation des graines par cette espèce. Les auteurs suggèrent qu’elle influence la dispersion des « mauvaises herbes » dans les agrosystèmes tempérés :
« Des études récentes ont montré que la consommation de graines par les vers de terre tend à être motivée par la sélection active de certaines espèces de graines plutôt que par une rencontre aléatoire. De nombreux traits des graines sont censés affecter leur sélection par les vers de terre, notamment la taille, la forme, la dureté de l’enveloppe et la teneur nutritionnelle. » Source.
Ils recherchent des graines à haute valeur nutritionnelle
On les a tellement enfermés à double tours dans ce carcan de bestioles bouffant de la terre et chiant par conséquent de la terre (sens du mot turricule), qu’on ne peut imaginer qu’elles choisissent leur nourriture. Et pourtant, les premières données éthologiques remontent à 1842 ! Une information confirmée en 1881 et jamais démentie depuis.
Mais l’information ne passe pas et reste confinée à l’extérieur de notre cerveau : impensable qu’un être aussi insignifiant puisse décider.
Quant aux résultats de l’étude canadienne, lorsque la forme de la graine le permet, L. terrestris va choisir les plus riches en lipides, autrement dit en matières grasses. Ces molécules jouent un rôle central dans le fonctionnement de leur organisme, de notre organisme. En 2014, une étude précise leur rôle dans le fonctionnement du cerveau : « De nombreuses études menées essentiellement chez l’animal démontrent que le contenu en lipides de l’alimentation se reflète au cerveau. Puisque ce dernier contient une grande quantité de lipides neuroactifs… » Source.
Et l’auteur, le Dr Frédéric Calon, professeur à la Faculté de pharmacie et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, d’appeler à des études plus approfondies afin de prévenir les maladies neurodégénératives.
Ne me demandez pas
Comment ce lombric sait-il que cette molécule est bonne pour sa santé ? je ne m’aventurerai pas sur ce terrain, il est trop glissant !
En 2021, une autre étude avait également conclu que L. terrestris participait à la dispersion de certaines « mauvaises herbes » au Canada. Source. Au 19e siècle, plusieurs scientifiques ont dit avoir retrouvé de petites graines sur le sol des « chambres » qu’il se creuse dans les profondeurs du sol. Darwin les cite dans son dernier livre ; je les ai cités dans mon dernier Éloge du ver de terre, aujourd’hui épuisé.
Désormais, après un semis de raves de Treignac ou de céleri, de minuscules graines riches en lipides, vous allez vous surprendre à croiser les doigts pour qu’un tel lombric ne rôde pas dans les parages… (humour lombricien) Bref, mon objectif est de vous montrer que le monde des vers de terre est bien plus coloré et pluriel que l’image monochrome et simpliste qu’on lui attribue d’ordinaire.
À la semaine prochaine.
Christophe Gatineau

Président fondateur de La Ligue de protection des vers de terre, j’étudie les vers de terre dans leur rapport à l’agriculture. Auteur d’une douzaine d’ouvrages — dont Éloge du ver de terre et Éloge de l’abeille (Flammarion), je travaille depuis plus de 10 ans en faveur de la reconnaissance juridique des vers de terre. Dernier livre : Ne tirons plus la chasse ! Nos déjections au secours des sols (2025)
La Ligue de protection des vers de terre ne vit que de vos dons et adhésions de soutien. En refusant les financements privés et les publicités, nous dépendons de vous. Si vous pouvez, c’est chouette. Merci.
Présents dans le paysage médiatique depuis le 17 octobre 2014, nous avons été durement touchés par la politique libérale de Macron. Nous n’avons plus de salariés, notre travail est entièrement bénévole.

