Voilà dix ans que j’alerte sur l’absence d’évaluation de la toxicité des pesticides sur les vers de terre. La justice vient de le confirmer : l’État les avait bel et bien oubliés. Ou plutôt abandonnés, comme on abandonne sur le bord de la route, en juillet, un chiot acheté en promo à Noël. C’est du même tonneau.

Certes, la comparaison peut paraître douteuse — ce n’est pas faux, mais une question demeure : comment a-t-on pu oublier les animaux aux premières loges lors des épandages de pesticides ?

Ont-ils été victimes d’un mépris de classe ? Puisque nous classons les vers de terre en bas de l’échelle animale. Victimes de notre méconnaissance des écosystèmes ? De notre aveuglement à ne valoriser que les espèces dites « nobles », celles qui sont génétiquement les plus proches de nous ? Nous parlons pourtant de la principale biomasse du sol, documentée scientifiquement dès 1842… bien avant les premières données sur les chiens ! Quant à la décision historique du 3 septembre dernier, nous la devons à la Cour administrative d’appel de Paris et à cinq ONG requérantes : Biodiversité sous nos pieds, l’ASPAS, Pollinis, Notre Affaire à Tous et ANPER-TOS ; cette dernière œuvrant depuis 1958 à la défense de l’eau, des lacs, des rivières et des espèces qui y vivent.

L’État est condamné à revoir sa procédure d’autorisation de mise sur le marché des pesticides — lire le jugement. Concrètement, il doit désormais évaluer leur toxicité à la lumière des connaissances scientifiques les plus récentes. Et, pour cela, il dispose de deux ans pour réexaminer toutes les autorisations déjà délivrées ! Selon moi, c’est techniquement impossible vu le délai imparti et les enjeux. La rémanence des pesticides dans l’environnement est un facteur important d’empoisonnement de la biodiversité qui réclame du temps pour l’évaluer au plus juste, d’autant plus que toutes les espèces non cibles doivent être évaluées.

En effet, c’est la première fois que ces espèces sont explicitement mentionnées dans une décision de justice, ce qui confère à ce jugement un caractère historique.

Alors, qu’est-ce qu’une espèce « non cible » ? C’est une espèce autre que celle visée ou ciblée par le pesticide, et susceptible d’y être exposée. À commencer par les vers de terre et, plus largement, la faune du sol ; mais aussi les espèces qui y vivent ou y nichent, comme les couleuvres (protégées), les amphibiens, les oiseaux qui s’en nourrissent, ou encore les mammifères sauvages et sans oublier les micro-organismes. Oui, ça fait du monde au balcon… mais c’est précisément ce qui définit la biodiversité.

Parce qu’ils sont à la fois une ressource alimentaire essentielle au maintien de la biodiversité animale et des acteurs majeurs de la santé des plantes et des sols. Ils en améliorent la qualité et la fertilité et ils stimulent la croissance de la végétation. Bio-indicateurs, leur diversité et leur abondance reflètent la qualité ou la dégradation du sol, des écosystèmes et de l’environnement. Ce sont également des espèces clefs de voûte, à savoir que leur disparition de l’espace agricole compromettrait le fonctionnement des écosystèmes.

En somme, le ver de terre est l’avenir de l’Homme…

En revanche, le juge a blanchi l’État de sa responsabilité du non-respect des objectifs de réduction de l’usage des pesticides et de protection des eaux souterraines. Rappelons qu’Écophyto, nom du plan de réduction de l’usage des pesticides lancé en 2008, a coûté 6 milliards d’argent public… et personne n’est responsable, même ceux qui tenaient les cordons de la bourse ! Alors reste la question qui tue…

En justice administrative, on a coutume de dire que l’État juge l’État. Mais qui peut contraindre l’État à exécuter ce jugement ? On se souvient de ses multiples condamnations pour inaction climatique, restées sans effet. Et l’État peut encore former un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État — une juridiction qui, comme son nom l’indique, conseille l’État. Vous avez le droit de ricaner : ça fait du bien.

Déjà, l’État doit déterminer les espèces cibles. Combien de réunions interminables faudra-t-il pour cela ? Ensuite, que tester : La dose létale ou l’empoisonnement lent ? Oui, je me fais l’avocat du diable, mais chat échaudé craint l’eau froide. Comme si l’État avait un coup d’avance, la loi dite « Duplomb » a déjà tranché via son Comité des solutions à la protection des cultures.

Dans la même veine, rappelez-vous. Dans sa décision n° 2025-891 DC, du 7 août 2025, le Conseil constitutionnel a retoqué la loi en bannissant le retour des néonicotinoïdes, mais tout en donnant les clefs pour leur retour dans les champs. Du grand art manipulatoire.

À présent que l’essentiel de la loi « Duplomb » fait loi, enterrant sans autre forme de jugement la transition agroécologique… l’acétamipride, ce néonicotinoïde, pourra être réautorisé temporairement tous les ans sur la base de la loi n° 2020-1578 et de l’arrêté du 05/02/2021, jugés compatibles avec la Constitution. Vous avez envie de pleurer… ça fait aussi du bien


Dans le cadre des ESTIVALES de la permaculture.

14h–15h — L’urine au jardin : comment la valoriser ?
Comment nos pipis et cacas nourrissent la terre qui nous nourrit ?

17h — Éloge des vers de terre
Quiz participatif & mises en situation ludiques pour les découvrir.
Bonne humeur garantie. Vous n’en ressortirez pas indemne !


Auteur : Christophe Gatineau – 64 ans – Saintongeais.

Journaliste, écrivain et agronome spécialisé dans l’étude des vers de terre, auteur de 3 livres sur ces animaux, dont l’Éloge du ver de terre (Flammarion). Président fondateur de La Ligue de protection des vers de terre. Dernier livre : Ne tirons plus la chasse ! Nos déjections au secours des sols (Ulmer, 2025)

« Nous voyons ce que nous avons envie de voir, et un point de vue n’est que la vue d’un point donné à un moment donné. Une vache peut être vue comme une usine à lait, un bout de viande, une calamité pour le climat, un épandeur à engrais ou un être doué de sensibilité.« 

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